Le Monde du 21/01/1971

A l’heure de la vente aux enchères,  Le tourisme d’été pourrait peut-être sauver ‘’Varneige’’ 


Introduction :

un article de presse parait suite a la vente de la station aux enchères, là ou le tourisme, notamment de proximité, aurait pu représenter une solution pour revitaliser la station Varneige près du mont Lachens, face aux difficultés de trouver un solution pour sauver la station.


Ce que résume l'article :

Au cœur du Haut-Var, entre les communes de La Bastide et La Roque-Esclapon, sur les pentes du Mont Lachens, une station de ski a tenté d’éclore dans les années 1960. Baptisée Varneige, cette station fut à la fois ambitieuse, fragile et emblématique des illusions nées de la course au ski qui a marqué les Trente Glorieuses. Aujourd’hui, Varneige est morte, ses pistes oubliées, son hôtel rasé, et ses remontées mécaniques démontées. Mais son histoire mérite d’être racontée tant elle incarne les espoirs, les erreurs et les enseignements d’un rêve brisé.

Un projet porté par l’euphorie des sports d’hiver

Nous sommes au début des années 1960. Le ski est en plein essor en France, et les Alpes voient naître une multitude de stations, des grandes comme Les Arcs, aux plus modestes comme Laye ou Crévoux. Dans le Var, certains commencent à rêver de créer un site hivernal qui éviterait aux familles varoises et azuréennes de longs trajets vers les Alpes du Sud.

Séduits par le versant nord du Mont Lachens, culminant à 1714 mètres, des investisseurs privés fondent une société baptisée Varneige, avec le soutien des municipalités de La Bastide et La Roque-Esclapon. Un terrain est acquis à cheval sur les deux communes, des prêts sont contractés auprès d’organismes de crédit, et d’importants fonds sont injectés dans le projet.

La station est officiellement inaugurée en 1964, avec la construction d’un hôtel-restaurant de 29 chambres et l’installation de deux téléskis. Trois pistes sont tracées sur les pentes nord : faciles, destinées aux débutants, elles visent une clientèle familiale venue du littoral. La formule semble prometteuse : à seulement une heure de Draguignan ou Saint-Raphaël, Varneige propose un accès rapide à la neige, sans les embouteillages des grandes routes alpines.

Un départ en demi-teinte et des conditions précaires

Mais dès l’ouverture, les difficultés s’accumulent. Contrairement aux attentes, la station ne connaît pas le « démarrage foudroyant » escompté. Rapidement, les premiers utilisateurs font un constat amer : la neige est rareles pentes sont trop douces, et les infrastructures sous-dimensionnées.

La station ne propose que des pistes débutants, sans aucun attrait pour les skieurs confirmés ou sportifs. Pire encore, l’accès à la station s’effectue uniquement par une route sinueuse, verglacée l’hiver, balayée par les vents glacés du versant nord. Les jours de neige, le col est difficilement praticable, ce qui dissuade de nombreux visiteurs.

Mais l’un des problèmes les plus insolites – et déterminants – est l’absence totale d’eau courante. L’hôtel de Varneige ne dispose pas de réseau d’alimentation en eau. Il faut faire venir chaque jour des camions-citernes qui remplissent une cuve de 60 000 litres. Cette logistique aberrante alourdit les coûts d’exploitation. Un jour, un exploitant confond les bouches de remplissage du fioul et de l’eau : le réservoir se retrouve pollué, et l’anecdote illustre les conditions chaotiques dans lesquelles l’établissement est géré.

Saison après saison, les hôteliers se succèdent, incapables de faire face à une exploitation déficitaire. Chacun d’eux dépose le bilan à la fin de la saison, sans jamais pouvoir rembourser les dettes. L’affaire devient un gouffre financier.

Une station abandonnée, un hôtel invendu, un avenir incertain

En 1971, après seulement quelques années d’activité, le couperet tombe : la station est officiellement fermée. C’est une première en France, où la majorité des domaines skiables refusent du monde en hiver. La nouvelle fait sensation. Les installations de Varneige seront mises aux enchères, mais on ignore encore la date de la vente et la mise à prix. L’heure n’est plus à l’optimisme, mais à la liquidation.

Les maires des deux communes, M. Isnard pour La Bastide et M. Levavasseur pour La Roque-Esclapon, constatent l’ampleur du passif laissé par Varneige : près de 700 000 francs de dettes, des équipements obsolètes, et une station sans avenir immédiat. Plus personne ne croit à un redémarrage privé. Pour espérer sauver ce qu’il reste, il faudrait reconstruire une route sur le versant sudamener l’eau courantemoderniser les équipements, et espérer… qu’il neige. Rien ne garantit cela.

Des rumeurs circulent alors : la société Saint-Gobain, grande entreprise nationale, aurait envisagé un temps de transformer Varneige en centre de plein air pour son personnel. Des négociations sont engagées, mais elles n’aboutissent pas. Aucun repreneur ne veut prendre le risque de relancer une station condamnée par la géographie et le climat.

Une dernière carte à jouer : le tourisme quatre saisons

Face à l’échec privé, les élus envisagent une autre voie. M. Levavasseur déclare que l’époque des exploitants privés est révolue. Il imagine une exploitation communale ou intercommunale, sous forme de syndicat mixte, avec le soutien du département. L’objectif : reconvertir Varneige en centre de loisirs toutes saisons, axé autant sur l’été que sur l’hiver.

L’atout maître du projet est un lac collinaire de 15 hectares, dont la mise en eau est prévue pour 1972. Ce lac pourrait accueillir activités nautiques, voile, baignade, et servir de base à un complexe touristique. À proximité du littoral, Varneige deviendrait une destination nature de proximité pour les Varois et les Azuréens.

Une table ronde intercommunale est d’ailleurs envisagée pour étudier la faisabilité de cette reconversion. Mais là encore, les espoirs seront vite déçus. Le temps passe, les bâtiments se dégradent. L’hôtel racheté par la mairie de Saint-Raphaël est transformé un temps en colonie de vacances, mais il finit par être abandonné à la fin des années 1980, puis rasé en 2012.

Varneige aujourd’hui : une friche entre nostalgie et oubli

Aujourd’hui, il ne reste plus rien de la station de ski de Varneige, sinon quelques vestiges de pistes, des murets en ruines, et la mémoire locale. La montagne a repris ses droits, et le Mont Lachens est redevenu un lieu de randonnée, prisé pour son panorama exceptionnel mais vidé de toute activité hivernale.

Le rêve de Varneige a peut-être été trop ambitieux pour le climat du Var. Mais il témoigne d’une époque où chaque montagne, même modeste, semblait pouvoir devenir un Eldorado blanc. L’histoire de Varneige est à la fois locale et universelle : celle d’une France qui voulait skier partout, d’une économie qui croyait à l’aménagement à tout prix, et d’un arrière-pays varois qui, malgré ses limites, n’a jamais renoncé à l’idée de vivre du tourisme.

Article de Var matin paru le 21 janvier 1971 " archive municipale de St Raphaël 83700"

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